"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

samedi 10 mars 2018

Protéger jusqu’à la destruction


A quoi cela sert-il de créer des espaces protégés si c'est pour les détruire à la moindre occasion consumériste ? A quoi cela sert-il de protéger le vivant si nous n’y voyons qu’une épine dans le pied du développement ? Dernièrement on aura pu voir, au JT de France 2, et lire sur leur site, des informations intéressantes sur le peu de valeur que nous portons à ce que nous protégeons.

Ainsi à Pyeongchang, le site de Jeongseon, réservé aux épreuves de ski alpin, aura été entièrement créé pour ces Jeux olympiques 2018. Pour cela, les organisateurs ont abattu des dizaines de milliers d'arbres vieux de 500 ans. Les associations environnementalistes sud-coréennes s'y sont opposées depuis des années. En vain. Avant les travaux, il n'y avait que de la forêt à cet endroit, pas l’ombre d’une station de ski. Après les travaux, on découvre une large cicatrice dans la montagne. 78 hectares de forêt auront été rasés, plus de 50 000 arbres abattus dans une zone classée « zone protégée » … enfin, protégée … jusqu’aux jeux ! « Cela n’aurait jamais dû arriver. C’est grâce à une loi spécialement votée, pour les Jeux olympiques, que la forêt a pu être détruite. C’est un désastre sans précédent », se désole Kim Kyoung Jun, membre de la fédération coréenne du mouvement environnementaliste.

Un autre jour nous apprenions les dangers qui s’abattent sur le Parc National de Tulum, zone côtière constituée de mangrove et de cénotes (puits naturels). Tulum, ville située sur la côte caraïbe de la péninsule mexicaine du Yucatan, petit paradis de sable blanc et à la mer turquoise, est connue pour ses vestiges très bien préservés d'une cité portuaire antique maya. Mais la beauté de la nature et de la culture attire - comme partout et comme toujours, telle des mouches à merde - de plus en plus les touristes et devient victime de son succès. Les lieux attirent chaque année des millions de touristes. Tulum va-t-elle devenir une station balnéaire défigurée par le béton comme Cancún ou Playa del Carmen, ces autres villes mexicaines vouées au tourisme de masse ? Des hôtels en béton commencent à sortir du sol à Tulum. Sur la plage, les autorités continuent à donner des permis de construire. Mais certains établissements sont construits même sans autorisation. Les avis de fermeture ne sont pas respectés sur des restaurants de plage. Le scénario est toujours le même : les exploitants installent d'abord une simple cabane sur le sable puis s'étendent et construisent des chambres et un hôtel illégal dans un espace protégé. Les déchets liés au tourisme provoquent des décharges à ciel ouvert. Dans moins de dix ans, la population aura été multipliée par quatre selon les autorités. Où quand les réserves naturelles ne valent pas grand-chose face au tourisme. Tulum, Cozumel, Holbox... même désastre me dit mon amie Mélina qui vit au Mexique.

En France la loi sur l’eau, la loi littorale ou bien encore celles sur les espèces protégées sont de merveilleux outils pour préserver les espaces et les espèces. Pourtant chaque jour amène son lot d’exemples où ces outils sont attaqués, remis en cause, soumis à des dérogations, bafoués sur l’autel du pragmatisme et de la croissance. On nous avait ainsi expliqué que si l’Exposition Universelle se faisait, sur le Plateau de Saclay, il aurait fallu accepter des dérogations aux lois d'urbanisme et environnementales comme cela est le cas pour les JO de Paris.

Dès lors que valent ces lois, qui sont censées protéger les plus faibles, si les plus fort peuvent les fouler ? 

Ces lois qui protègent les espèces vulnérables, précisent que sont interdits, sur tout le territoire et en tout temps la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la perturbation intentionnelle des animaux protégés dans le milieu naturel. Bien ! Sont interdites, également sur les parties du territoire où l’espèce est présente, ainsi que dans l’aire de déplacement naturel des noyaux de populations existants, la destruction, l’altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux. Excellent ! Excellent et pourtant on ne cesse de traquer et de fragiliser les populations d’ours, de loups, de chauve-souris ... Par un jugement du 6 mars 2018, le Tribunal administratif de Toulouse a reconnu la carence de l'Etat français dans son obligation de maintenir la population d'ours bruns dans un état de conservation favorable. « L'objectif des associations est atteint : faire reconnaître pour la première fois par la Justice que l'Etat a bien une obligation légale de restaurer la population d'ours dans les Pyrénées, et qu'il ne la respecte pas », réagissent les deux associations requérantes, « Pays de l'ours » et « Ferus ». Celles-ci réclament, au Gouvernement, l'adoption rapide d'un nouveau plan de restauration, le dernier ayant expiré en 2009, et des lâchers d'ourses dès le printemps pour éviter la disparition imminente de l'espèce dans les Pyrénées occidentales. Et on ne fait rien pour le castor d’Europe, pour le hamster commun, pour le hérisson d’Europe ou bien encore pour le chat sauvage...

Finalement notre relation au vivant est un peu à l’image de ce qui arrive à la Clausilie romaine (Leucostigma candidescens) cet escargot qui ne vit que dans les Apennins en Italie, près de Rome et … à Nîmes … uniquement localisé dans les arènes où il est probablement arrivé il y 2000 ans avec les matériaux de construction de l'édifice romain. Cet escargot est un trésor de biodiversité pour la Ville de Nîmes ! Mais un trésor dont la ville se fiche éperdument lorsqu’il a fallu programmer des travaux d'étanchéité des arènes ... Déplacement de la population vers Mèze sans aucune garantie de succès et de retour dans l'amphithéâtre romain dont les nouvelles conditions d'habitat pour l'espèce ne sont plus garanties... « On avait aucune obligation à protéger cette population » déclare Christine Lavergne de la Ville de Nîmes. « Si ces escargots ne survivent pas, ce n'est pas grave en termes de conservation. » renchéri Vincent Prié du Bureau d'Etudes Biotope. Avec de telles considérations décomplexées, qui ne révèlent, qu’à voix haute, que ce que notre monde pense tout bas, on voit mieux pourquoi Hubert Reeves nous dit que « l'Homme poursuit une guerre contre la nature ». Notre vision du vivant est à l’image de celles utilisées, ce mois-ci, par la RATP pour lutter contre les violences sexistes dans les transports en commun, à l'image de celle de la ferme des milles vaches ou bien encore de celle de Chanel qui abat des arbres pour quelques heures de défilé lors de la « Fashion Week », des clichés mensongers d’hostilités, attisés dans la culture populaire par la littérature et le cinéma ou une vision utilitaire et productiviste, mais jamais comme étant fragile, essentiel et à préserver coûte que coûte.

Fuck les Jeux et autres Expositions Universelles qui outrepassent les lois pour quelques semaines de bonheur consumériste et où l'écologie n'est que du greenwashing ! Fuck les touristes ! « Je ne suis pas d'accord, tu ne peux pas arrêter de vivre, de construire, de faire des événements. Les expositions universelles ont permis de nombreuses avancées technologiques. OK avec toi pour Saclay car rien n'oblige à détruire des terres pour ça. Mais pas d'accord pour les JO car on ne peut pas faire de ski sans couper des arbres. Oui on peut remettre en question l'existence des stations. Dans ce cas je remets en question.... le béton. Et donc les villes.... cela s'apparenterait à de l'extrémisme débile.... » me rétorque mon ami Patrick.

Nous devons trouver les moyens de nous développer sans détruire, c'est le défi de la durabilité, c'est l'esprit de l'appel des 15000 scientifiques. Il nous faut parler et penser « développement durable », il nous faut penser global et agir local, il nous faut protéger, sauvegarder, laisser vivre, ralentir, renoncer, partager notre espace. Seule la somme de nos décisions durables et locales peut donner l’espoir que l’humanité pourra poursuivre son aventure sur son seul et unique vaisseau spatial. Maintenant on peut toujours dire que cela est cesser de vivre mais j'ai plus l'impression que c'est notre développement actuel qui risque de nous faire cesser de vivre.

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