"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

lundi 23 octobre 2017

La sixième extinction de masse des animaux s’accélère

Dans une étude très alarmante, des chercheurs concluent que les espèces de vertébrés reculent de manière massive sur Terre, à la fois en nombre d’animaux et en étendue.

LE MONDE | 10.07.2017 | Par Audrey Garric


C’est ce qu’ils nomment « un anéantissement biologique ». Dans une étude très alarmante, publiée lundi 10 juillet 2017 dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), des chercheurs américains et mexicain concluent que les espèces de vertébrés reculent de manière massive sur Terre, à la fois en nombre d’animaux et en étendue. Une « défaunation » aux conséquences « catastrophiques » pour les écosystèmes et aux impacts écologiques, économiques et sociaux majeurs.

Les trois auteurs, Gerardo Ceballos (Université nationale autonome du Mexique), Paul Ehrlich et Rodolfo Dirzo (Stanford) n’en sont pas à leur coup d’essai sur le thème de l’érosion de la biodiversité. En juin 2015, les deux premiers avaient déjà publié une autre étude dans la revue Science Advances, qui montrait que la faune de la Terre était d’ores et déjà en train de subir sa sixième extinction de masse. Ils avaient calculé que les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 depuis 1900, soit un rythme sans équivalent depuis l’extinction des dinosaures il y a 66 millions d’années.

Disparition des populations

Cette fois, les chercheurs ont cherché à quantifier le déclin non plus du nombre d’espèces mais des populations, c’est-à-dire des groupes d’animaux sur un territoire. « L’accent mis sur l’extinction des espèces peut donner l’impression que la biodiversité terrestre n’est pas dramatiquement et immédiatement menacée, mais qu’elle entre juste lentement dans un épisode d’érosion majeur, que l’on pourra combattre plus tard », expliquent les auteurs.

Cette approche présente plusieurs défauts à leurs yeux : l’opinion publique peine à mesurer la gravité du phénomène à l’œuvre (deux espèces disparaissent chaque année, ce qui paraît faible, surtout quand ces dernières sont peu connues ou peu répandues). Et elle ne permet pas de correctement évaluer le problème en cours. Les espèces les plus communes (dont les populations sont largement présentes) enregistrent des reculs massifs de leurs effectifs, sans pour autant être déjà menacées. « Or, la disparition des populations est un prélude à celle des espèces, préviennent les scientifiques. Une analyse détaillée du déclin des effectifs d’animaux rend le problème bien plus clair et inquiétant. »

Les chercheurs ont alors mené une vaste analyse, sur la moitié des espèces de vertébrés connues : ils ont examiné les évolutions des populations de 27 600 espèces de mammifères, oiseaux, reptiles et amphibiens terrestres, réparties sur les cinq continents, en utilisant la base de données de la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui constitue l’inventaire mondial le plus complet de l’état de conservation de la biodiversité. Ils ont également passé à la loupe, plus spécifiquement, 177 espèces de mammifères, pour lesquels ils avaient des données sur l’aire de répartition entre 1900 et 2015.


« La réelle ampleur de l’extinction de masse qui touche la faune a été sous-estimée : elle est catastrophique », jugent-ils. Au total, 32 % des espèces étudiées déclinent en termes de population et d’étendue. Plusieurs mammifères qui se portaient bien il y a une ou deux décennies sont maintenant en voie de disparition.

En 2016, la planète ne comptait que 7 000 guépards et 35 000 lions africains (− 43 % depuis 1993). Les populations d’orangs-outans de Bornéo ont chuté de 25 % ces dix dernières années, pour atteindre 80 000 individus, tandis que celles de girafes sont passées de 115 000 spécimens en 1985 à 97 000 en 2015. Celles de pangolins ont été décimées.



30 % des espèces en déclin sont communes

Ce que l’on sait moins, c’est que près de 30 % de ces espèces en déclin sont considérées comme communes. Elles sont (encore) classées en tant que « faible préoccupation » et non pas « en danger » par l’UICN. En France, le chardonneret a, par exemple, enregistré une baisse de 40 % de ses effectifs depuis dix ans. « Qu’autant d’espèces communes voient leurs effectifs diminuer est un signe fort de la gravité de l’épisode d’extinction biologique actuel », prévient Gerardo Ceballos.

Tous les continents sont concernés par cette érosion spectaculaire de la biodiversité. Les zones les plus touchées, notamment pour les mammifères et les oiseaux, sont celles situées aux tropiques (Amazonie, bassin du Congo, Asie du Sud-Est) car ce sont les plus riches en termes de faune. Mais les régions tempérées enregistrent des taux similaires voire plus élevés en valeur relative – c’est-à-dire comparé à la richesse de leur biodiversité.

Corollaire de la perte d’effectifs, la faune voit son territoire diminuer comme une peau de chagrin. Parmi les 177 espèces de mammifères scrutées plus spécifiquement par l’étude, quasiment tous ont perdu au moins 30 % de leur aire de répartition historique depuis 1900 et 40 % en ont perdu plus de 80 %. Cas emblématique, le lion a longtemps régné sur la majeure partie de l’Afrique, du sud de l’Europe et du Moyen-Orient, jusqu’au nord-ouest de l’Inde ; on ne compte aujourd’hui qu’une poignée de populations dispersées en Afrique subsaharienne et une population dans la forêt de Gir, en Inde.

Au total, plus de 50 % des animaux ont disparu depuis quarante ans, estiment les scientifiques, qualifiant leurs résultats de « prudents ». Des conclusions qui confirment celles du dernier rapport « Planète vivante », publié en octobre 2016 par le Fonds mondial pour la nature (WWF) : il estimait que les populations de vertébrés ont chuté de 58 % entre 1970 et 2012. L’intérêt de la nouvelle étude, publiée dans les PNAS, réside dans le jeu de données bien plus vaste (27 600 espèces examinées contre 3 700 pour le WWF) et l’analyse géographique.

Deux ou trois décennies pour agir

« L’approche de cette étude est très intéressante : au lieu de se focaliser sur les extinctions, que l’on a du mal à quantifier, elle se concentre sur l’évolution des populations, qui confirme et renseigne sur la gravité de la situation », juge Benoît Fontaine, biologiste de la conservation au Muséum national d’histoire naturelle, qui n’a pas participé à l’étude.

« Cette publication montre que la situation est très alarmante, plus que ce que peut laisser voir notre liste rouge », abonde Florian Kirchner, chargé du programme « espèces » pour la branche française de l’UICN, qui n’émet qu’une réserve : avoir concentré l’analyse sur les seuls vertébrés terrestres – les plus étudiés – et non les poissons, les invertébrés et les plantes, dont les populations reculent aussi massivement. Selon l’UICN, 42 % des espèces d’invertébrés terrestres (papillons, vers de terre, etc.) et 25 % de celles d’invertébrés marins (comme les bivalves ou éponges) sont menacés d’extinction.

Les causes de ces reculs sont connues : ils sont imputables, en premier lieu, à la perte et à la dégradation de l’habitat sous l’effet de l’agriculture, de l’exploitation forestière, de l’urbanisation ou de l’extraction minière. Viennent ensuite la surexploitation des espèces (chasse, pêche, braconnage), la pollution, les espèces invasives, les maladies et, plus récemment, le changement climatique. « Les moteurs ultimes de la sixième extinction de masse sont moins souvent cités, jugent les auteurs. Il s’agit de la surpopulation humaine, liée à une croissance continue de la population, et de la surconsommation, en particulier par les riches. »

« Nous ne disposons que d’une petite fenêtre pour agir, deux ou trois décennies au maximum », préviennent-ils. Il en va de la survie de la biodiversité mais également de l’humanité. « L’érosion des espèces entraîne de graves conséquences en cascades sur l’ensemble des écosystèmes, ainsi que des impacts économiques et sociaux pour l’humain », rappelle Gerardo Ceballos. La faune et la flore nous rendent en effet de nombreux services, qu’il s’agisse de la pollinisation, de l’amélioration de la productivité des terres, de l’assainissement de l’air et de l’eau ou du stockage du CO2.



Parmi les actions prioritaires, les scientifiques appellent à réduire la croissance de la population humaine et de sa consommation, à utiliser des technologies moins destructrices pour l’environnement, à endiguer le commerce des espèces en voie de disparition ou encore à aider les pays en développement à maintenir les habitats naturels et à protéger leur biodiversité.

Photo : JOHN WESSELS / AFP

lundi 9 octobre 2017

La terrible souffrance des gens riches

Le problème de la France, c'est de culpabiliser ceux qui ont de l'argent ?

Par Titiou Lecoq — publié le 06.10.2017 sur Slate

Il y a des phrases, à force de les entendre rabâchées, répétées, redites sans cesse pendant des années, on finit par oublier de les interroger. Ça m’a frappée l’autre jour, dans la matinale de France Inter. L’invité était Philippe Aghion, économiste, professeur au Collège de France et soutien actif d’Emmanuel Macron –Nicolas Demorand l’a même qualifié de «penseur du macronisme économique». Vu mon immense amour pour le Collège de France, je m’attendais à être éblouie. Ça n’a pas vraiment été le cas. Notamment parce qu’il a répété à plusieurs reprises, comme explication des mesures économiques du gouvernement, «il ne faut pas culpabiliser les riches».

Extraits:

«Je crois qu’en France il y a eu une erreur de raisonnement. Je crois qu’en France, il y a une espèce d’obsession des riches et une culpabilisation des riches. Moi je crois que le mérite doit être récompensé. Je crois beaucoup dans ça. Je crois que quelqu’un qui fait une innovation qui marche très bien, il la vend, il doit être récompensé.»
Et Nicolas Demorand de tiquer: «Le problème de la France, c’est de culpabiliser les riches ?».
Philippe Aghion: «C’est pas bien de culpabiliser quelqu’un qui gagne de l’argent parce qu’il a réussi.»

Culpabiliser, c'est humain

Ah ça, si on ne l’a pas entendu mille fois ces dix dernières années… En France, on n’aime pas les riches, on n’aime pas le succès, et on est méchants parce que les riches il faut les laisser être tranquillement riches, il ne faudrait surtout pas venir troubler leurs consciences en leur rappelant que pendant qu’ils se gavent d’autres crèvent la dalle. Il faut cesser de ternir leur bonheur avec cette culpabilisation permanente. Petites créatures fragiles va.

C’est quoi cette idée absurde ? Quand tu gagnes des millions, j’espère bien que tu culpabilises un peu! À mon niveau, quand je passe dans la rue avec mon smartphone à la main et les clés de ma maison pour aller chercher mes gamins à l’école et que je croise une mère et sa fille assises par terre en train de mendier, je culpabilise. Alors oui, c’est un sentiment extrêmement désagréable mais moins que d’être celle qui est assise devant la bouche de métro.

Culpabiliser, c’est prendre conscience de ses privilèges, c’est se mettre l’espace d’un instant dans la peau de l’autre, c’est donc reconnaître à l’autre sa qualité d’être humain. Culpabiliser les riches, c’est aussi les pousser à prendre leurs responsabilités. En plus, Philippe Aghion nous parle de ça alors qu’on l’interrogeait sur la disparition de l’ISF. Ça veut dire quoi ? Que taxer les riches pour qu’ils contribuent directement à la société, c’est les culpabiliser ? On nage en plein délire. Vous avez fumé du crack au Collège de France ou quoi  ?

À les écouter, les riches, c'est toujours Bill Gates

Et en prime, pendant ce temps, on ne se prive pas pour culpabiliser les pauvres qui, s’ils étaient vraiment pauvres et malheureux accepteraient n’importe quel travail, payé n’importe quelle somme. Alors, ok, je n’ai aucun diplôme d’économie. Mais l’argument du «il faut arrêter de culpabiliser les riches», ce n’est pas, ça n’a jamais été et ça ne sera jamais un argument économique. Ça s’appelle de la psychologie de comptoir (et ça, je connais bien).

En plus, dans ce discours, vous noterez que les riches, c’est toujours Bill Gates. Je vous assure. Un millionnaire, c’est quelqu’un qui a inventé un truc qui a été utile à l’ensemble de la communauté. Ce matin-là, Philippe Aghion n’a pas donné l’exemple de Bill Gates mais du mec qui a inventé Skype, «un Scandinave». (En vrai, Wikipédia m’informe que ce sont deux Estoniens.) Et il a martelé à plusieurs reprises:

«Je crois que quelqu’un qui fait une innovation qui marche très bien, il la vend, il doit être récompensé.»

Est-ce qu’on peut être professeur au Collège de France et présenter le riche typique –on parle au minimum de millionnaires hein– comme un inventeur ? Sérieusement ?

Et après «il faut arrêter de culpabiliser les riches», «parce que les riches sont des gens de mérite qui ont inventé un truc fabuleux», on atteint le point «en supprimant l’ISF sur les actions, les riches vont investir dans l’innovation et créer des emplois». Tout naturellement. Comme ça. Parce qu’ils sont gentils et que le système fonctionne à la perfection. D’ailleurs, prendre des actions chez Nestlé c'est égal à investir dans l’innovation. (C’était l’exemple donné par un auditeur.)

Il a vu monsieur Aghion la hausse des dividendes des actionnaires ces dernières années ? Si on fait une déduction fiscale spécifiquement sur l’argent investi dans une jeune entreprise, ou une entreprise qui fait du développement, ok, mais si c’est une suppression totale sur toutes les actions, j’ai du mal à croire que ça marche. Ça me rappelle Pierre Gattaz et sa promesse du million d’emplois.

Il croit aux Bisounours, lui ?

Philippe Aghion postule le non-égoïsme des agents économiques. Quand Nicolas Demorand lui demande s’il y a des études qui prouvent ça, qu’alléger la fiscalité des plus riches entraîne une relance, il dit que oui, sûrement, il ne sait pas, il n’a pas ça sous la main. Or, je vous conseille sur le sujet cet article assez clair Favoriser les riches est-ce bon pour les pauvres (sur le site de France Culture, qui diffuse les leçons du Collège de France) qui le contredit. En fait, c’est comme pour les APL. Quand Macron demande aux propriétaires de prendre leurs responsabilités, d’être solidaires et de baisser les loyers de cinq euros. C’est la même logique.

Philippe Aghion insiste sur un autre élément. La société au mérite, ça fonctionne s’il y a davantage d’égalité des chances. En France, à l’heure actuelle, ce n’est pas le cas. En fonction de son milieu social, de sa couleur de peau, de son genre, etc., on n’a pas les mêmes chances. Il explique donc qu’il va falloir investir en priorité dans l’éducation pour ça. Là, je ne comprends pas.

Comment on va investir massivement alors qu’en même temps, l’État perd 4 milliards de recettes fiscales avec la suppression de l’ISF? (L’ISF rapportait entre 4 et 5 milliards, l’IFI rapportera 850 millions d’après Les Echos… ) Est-ce qu’il ne fallait pas faire les choses dans l’autre sens? Enfin bon, on verra avec la suite des réformes n’est-ce pas. La formation professionnelle, l’assurance chômage et tutti quanti. En attendant, arrêtez au moins d’essayer de nous culpabiliser de culpabiliser les riches parce que ça ressemble à du foutage de gueule.