"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

dimanche 10 septembre 2017

Les écologistes avaient raison


« Pas besoin de faire de catastrophisme : la situation est catastrophique » nous dit mon collègue et ancien vice-président du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) Jean Jouzel. L'avertissement fait froid dans le dos. 

2017, inondations majeures et meurtrières en Sierra-Leone avec au moins 312 morts à la mi août, érosion du littoral en Métropole, éboulement de quatre millions de mètre cubes de boue et de rochers, en Suisse, à cause à la fonte du permafrost alpin qui, en temps normal, assure la cohésion des roches, bilan, 14 disparus et un village rayé de la carte, sécheresses et incendies majeurs encore et toujours, incendie au Groenland et maintenant Irma, l’ouragan le plus puissant jamais enregistré depuis que l’humanité surveille la météo. Alors s'il est vrai qu’il est encore difficile d’attribuer tels ou tels événements météorologiques ponctuels au changement climatique, on peut, toutefois, s’interroger, au regard de ceux-ci, sur la fragilité de nos sociétés vaniteuses et dénaturées, technologiques et guerrières, face à la puissance de la nature. Ainsi avec les îles de St Martin et St Barth, dévastées par Irma, privées d’eau potable et d’électricité, livrées au désordre et à la détresse, nous avons une mise en lumière du manque de résilience de nos sociétés face aux crises écologique et climatique.

« Avec les dévastations d’Irma, nous avons un exemple concret de ce que le système économique planétaire vorace et désinvolte peut donner. Et c’est le moment de rappeler les ricanements, le mépris supérieur, opposés aux écologistes pendant des décennies. Ils étaient pris pour des hurluberlus, des rêveurs pisse-froids, naïfs promoteurs du retour à la lampe à huile, soixante-huitards ou bobos déconnectés, empêcheurs de se gaver en rond. Et bien en fait, […]… ils avaient raison ! Et si leurs thèses sont désormais acceptées par le monde entier (à un Donald Trump près) ils ne sont toujours pas assez écoutés à propos des priorités à renverser. Le zadiste moyen de NDDL, aussi extrémiste soit-il, est plus raisonnable que n’importe quel climatosceptique qui siège encore à l’Assemblée. » nous rappelle fort justement Thomas Legrand dans son éditorial sur France-Inter du vendredi 8 septembre 2017.

De son coté, Pascal Canfin, sur France Inter, ne dit pas autre chose et je partage : « Si l'on avait écouté les scientifiques et les écologistes, nous ne serions ni surpris-e-s, ni sidéré-e-s que les crises climatiques se fassent plus aiguës, mais nous serions mieux préparé-e-s »

« Ce n'est donc pas faute d'avoir alerté, et pourtant les écologistes ne se réjouissent pas (et ne se réjouiront jamais) d'avoir eu raison, ils se désolent juste de ne pas être entendus » nous dit mon amie Catherine Bassani-Pillot et je partage. Et pourtant je pense qu’il est bon, de temps en temps, de rappeler que nous avions et avons raison quand nous alertons, relais que nous sommes des travaux scientifiques, afin que, dans une sorte de vœu pieux, à l'avenir et sur d'autres sujets, nous puissions espérer être un peu plus écoutés et un peu plus soutenus. Soutenus, non pas pour notre gloire, mais pour que nous puissions enclencher, véritablement, la transition écologique de notre monde et offrir un monde durable et désirable à nos enfants.

Mais je crains, à l’instar de Jean-Marc Jancovici, que demain, Harvey, Irma, José ou bien encore Katia passés, on ne se « désole que les ventes de voitures fléchissent un peu, puis qu’après-demain on ne se désole que la production d'acier fléchisse un peu alors qu’à chaque fois qu'on augmente ça, on augmente aussi les émissions de CO2 ... » et donc les changements climatiques et donc les catastrophes qui vont avec. « Quelque part, il faut qu'on se mette d'accord avec nous-mêmes, c'est à dire à 7 milliards et demi dans une petite boite qu'on appelle la planète Terre dont la taille n'augmente pas, il faut trancher, on est en pleine incohérence : c'est à dire que lundi on dit qu'on veut augmenter la taille de l'économie donc des flux physiques et augmenter les émissions et les rejets en tous genres et Mardi, on dit : ah c'est quand même ennuyeux, il y a des conséquences à cette affaire et on préférerait ne pas les voir » poursuit Jean-Marc Jancovici

Ainsi St Martin et St Barth sont deux exemples à petite échelle, une sorte d'expérience de laboratoire de la vulnérabilité de nos sociétés occidentales. En quelques heures des territoires modernes de la cinquième puissance mondiale ont été réduits à néant par la force de la nature que nous provoquons. Irma devrait nous faire réfléchir sur l'effondrement de notre monde qui nie les crises écologiques, climatique, métallique ou bien encore énergétique en croyant, dans une techno-foi aveugle, que, devant le précipice, nous trouverons la solution et qu'en attendant il ne sert à rien de s'inquiéter, il ne sert à rien d'investir pour anticiper, il ne sert à rien de changer car il est tout de même plus délectable, à l'instar de la cigale de La Fontaine, de jouir de consommation.

Amis, je vous en conjure, réfléchissez, ouvrez les yeux, changez, renoncez, adoptez la sobriété choisie et heureuse avant que les événements ne vous l’impose ... il est plus que temps car la multiplication et l'intensification des extrêmes climatiques va poser de plus en plus de problèmes humains, alimentaires, économiques, géopolitiques. « Ce qui est l'exception dans beaucoup de domaines, y compris chez nous [en métropole], va devenir parfois la norme. Le pire est devant nous », averti Nicolas Hulot et Jean Jouzel de poursuivre « l'intensification des cyclones risque de préfigurer ce que l'on vivra demain ». Et en effet « pour espérer rester en deçà de 2°C de réchauffement par rapport à l'ère préindustrielle, il faudrait que le pic d'émissions de gaz à effet de serre survienne au plus tard en 2020 », conclut Jean Jouzel. Nous n'avons donc plus que trois ans devant nous pour inverser la vapeur.

Crédit photo : TWITTER/AFP - Anna MAZUR : Casino Royale ravagé par l'ouragan Irma dans la partie néerlandaise de Saint-Martin, le 7 septembre 2017

dimanche 3 septembre 2017

L’enfer du miracle allemand


Macron se désole que les Français refusent les réformes, que ce pays est irréformable. Mais les réformes pour les réformes cela n’a aucun sens. Si réformer c’est aller vers toujours plus de précarités et d’inégalités alors je dis « NON ! » et je me range dans le lot de ceux, dénommés par le très talentueux et clairvoyant journaliste de droite Eric Brunet, « les abrutis ». 

Ces abrutis, qui se vautreraient, selon le fantasme libéral, « dans le socialisme bolivarien le plus frustre en ayant pris l'argent du pétrole aux actionnaires milliardaires afin de tenter d'éradiquer la pauvreté qui rongeaient le Venezuela (1) ». Ces abrutis qui refusent « toujours plus de déréglementation, de flexibilité chez les salariés, de stock option et de dividendes pour le CAC 40, de privatisation de services publics […] solutions de ceux qui savent. (1) » car bien évidement « ceci n'a hélas jamais été fait, nulle part, ni en France, ni ailleurs. Mais vraiment jamais jamais ! Et les abrutis que nous sommes ne comprennent pas que si nous le faisions, si nous appliquions ces brillantes solutions libérales, la vie serait à chaque minute du jour et de la nuit une danse du bonheur sous l'abondance du ruissellement. (1) »

Nous sommes vraiment des abrutis de refuser un tel bonheur et il n’y a qu’à demander aux allemands ce qu’ils pensent de ces réformes qu’ils subissent, depuis 12 ans via les lois Hartz, pour se convaincre que nous sommes vraiment des abrutis pour refuser le paradis du modèle économique allemand. Ah, le paradis du modèle économique allemand basé sur les travailleurs pauvres et le retour au travail des retraités ! Que du bonheur ! Avoir du boulot et vivre pauvre tel est le miracle allemand. Près de 1 million de retraités allemands sont aujourd’hui contraints de travailler faute de pension suffisante. Ah ce modèle inégalable vanté par nos chroniqueurs télé de tous poils pourvoyeurs de la lobotomie générale pour le compte du MEDEF et de ses valets En Marche.

Ainsi selon « Le Monde diplomatique » de Septembre 2017, en Allemagne, entre 2000 et 2016 la proportion des travailleurs pauvres — rémunérés au-dessous de 979 euros par mois — passe de 18 à 22 %. 4,7 millions d’actifs survivent aujourd’hui avec un minijob plafonné à 450 euros par mois. L’Allemagne a converti ses chômeurs en nécessiteux. Ainsi pour les deux prophètes de la « social-démocratie moderne » M. Schröder et son homologue britannique Anthony Blair et ceux qui perpétuent aujourd'hui le Hartz IV, il vaut mieux un pauvre qui sue plutôt qu’un pauvre qui chôme.

Huit heures : le Jobcenter du quartier berlinois de Pankow vient à peine d’ouvrir ses grilles que déjà une quinzaine de personnes s’alignent devant le guichet d’accueil, enfermées chacune dans un cocon de silence anxieux, nous relate « Le Monde diplomatique » de Septembre 2017. « Pourquoi je suis ici ? Parce que, si tu ne réponds pas à leurs convocations, ils te retirent le peu qu’ils te donnent, grommelle un quinquagénaire à voix basse. De toute façon, ils n’ont rien à proposer. À part peut-être un boulot de vendeur de caleçons à clous, qui sait. » L’allusion lui arrache un maigre sourire. Il y a un mois, une mère isolée de 36 ans, éducatrice au chômage, a reçu un courrier du Jobcenter de Pankow l’invitant, sous peine de sanctions, à postuler pour un emploi d’agente commerciale dans un sex-shop.

En Allemagne [...] La vie des allocataires est un sport de combat. Leur minimum vital ne leur permettant pas de s’acquitter d’un loyer, le Jobcenter prend celui-ci en charge, à la condition qu’il ne dépasse pas le plafond fixé par l’administration selon les zones géographiques. Un tiers des allocataires (renommés "Clients") ont pourtant des problèmes de logement, le plus souvent parce que l’envolée des loyers dans les grandes villes, notamment à Berlin, les a fait sortir des clous du Jobcenter. Ils doivent soit déménager, mais sans savoir où, car le marché locatif est saturé, soit régler la différence de leur poche en rognant sur leur budget alimentaire.

Le Jobcenter peut aussi débloquer au compte-gouttes des aides d’urgence. Cela lui confère un droit de regard qui s’apparente presque à un placement sous curatelle. Compte en banque, achats, déplacements, vie familiale ou même amoureuse : aucun aspect de la vie privée n’échappe à l’humiliant radar des contrôleurs. Les 408 agences du pays disposant d’une marge d’initiative, certaines débordent d’imagination. Fin 2016, par exemple, le Jobcenter de Stade, en Basse-Saxe, a adressé un questionnaire à une chômeuse célibataire enceinte la priant de divulguer l’identité et la date de naissance de ses partenaires sexuels (2) [...]

[...] Hartz IV fonctionne à la manière d’un service du travail précaire obligatoire. Les menaces de sanctions qui pèsent sur le « client » le tiennent en permanence à la merci d’un guet-apens. M. Jürgen Köhler, un Berlinois de 63 ans, exerce en temps normal le métier de graphiste indépendant. Confronté à la concurrence de gros cabinets qui cassent les prix, il ne reçoit plus assez de commandes pour en vivre et s’est donc inscrit au Jobcenter. « Un jour, raconte-t-il devant un café, un courrier m’annonce que je dois me présenter le lundi et le mardi suivants à 4 heures du matin aux portes d’une agence d’intérim pour être affecté sur un chantier et toucher ma paie le soir même. Et que je dois me munir d’une paire de chaussures de sécurité. Évidemment, je ne possède pas ce genre d’équipement et je n’ai jamais travaillé dans le bâtiment. Commencer à mon âge ne me paraissait pas une bonne idée. » Les délais étant, comme souvent, trop brefs pour tenter un recours, M. Köhler n’a d’autre choix que de contester la mesure devant les tribunaux, en espérant que son affaire sera jugée avant que ne tombe le couperet de la sanction, qui risque d’amputer ses subsides de 10 %, 30 % ou même 100 %. Nul n’est à l’abri du hachoir, pas même les enfants d’allocataires Hartz IV âgés de 15 à 18 ans : en échange de leurs 311 euros mensuels versés au budget de la famille, et même s’ils vont encore à l’école, le Jobcenter peut les convoquer à tout moment pour leur « conseiller » de s’orienter vers tel ou tel secteur sous tension et leur couper les vivres s’ils ratent un rendez-vous. (2) [...]

Dès lors, pourquoi refuser un tel bonheur ? « Peut-être parce que nous n’avons plus les moyens de payer pour tous » selon la phrase fétiche des libéraux ? .... « qui va payer ? nous disent-ils. Qui va payer pour un accès de tous à la santé ? Qui va payer pour éradiquer l'analphabétisme ? Qui va payer pour un retour de la police de proximité ? Qui va payer pour une école de qualité ? C'est vrai que tout compte fait, ce serait beaucoup mieux si seuls les riches se payaient eux-mêmes les services privés, laissant les autres dans le dénuement. C'est sans doute ça, l’idée intelligente d'une société parfaite. (1) »

Pourtant les français n’ont pas toujours été contre les réformes, au contraire même. Ainsi quand en 1936 on a créé les congés payés, quand en 1946, Marcel Paul a nationalisé l’énergie, quand Maurice Thorez a créé le statut de la fonction publique, quand Paul Langevin a conçu le CNRS, quand Ambroise Croizat a bâti la Sécurité Sociale, généralisé les retraites, conçu les Comités d’Entreprises, la médecine du travail, la prime prénatale, l’allocation de salaire unique, du doublement du congé maternité, la reconnaissance des maladies professionnelles … les français ont adorés !!!

Mais, je m’avance peut-être pour expliquer ce vent de refus des Français devant les réformes portées par les libéraux, c’est que, encore une fois peut-être, que ces réformes, aujourd’hui, sont a l’inverse de ce que déclarait Ambroise Croizat « Désormais, dans toutes les phases de sa vie, nous mettrons définitivement l’Homme à l’abri du besoin. Nous en finirons avec les angoisses du lendemain. » et que nous refusons « l’enfer du miracle allemand », ce modèle qui inspire tant Emmanuel Macron et que ce refus est légitime. Non ?