"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

dimanche 27 août 2017

Ou quand l'argumentaire néo-colonialiste est toujours vivant

C'était pendant la campagne de la primaire de la droite. François Fillon n'avait pas encore effectué sa percée. L'émission politique (France 2) choisit de lui opposer le syndicaliste guadeloupéen Elie Domota, en duplex. Dialogue de sourds, au cours duquel Fillon ressortit à Domota la panoplie complète des arguments colonialistes. Mathlide Larrère les démonte un par un.




Pour lire la suite, c'est ici

Retrouvez toutes les chroniques de l'historienne Mathilde Larrère ici 

mercredi 23 août 2017

Poussière d'étoiles.

Juin 1977, 32e Salon International de l’Aéronautique et de l’Espace au Bourget, je suis avec mon père. Je suis en train de passer un moment père-fils merveilleux avec ce père qui semble connaître tout le monde. Nous y sommes en journées réservées aux professionnels. En journée non ouverte aux visiteurs lambda. Sentiment de privilège. Je suis fier de tenir la main à ce père qui m’explique ces magnifiques machines volantes. Je rentre dans tous les cockpits, je m’assois dans les sièges des pilotes. Tout le monde me sourit et m’offre qui un gadget, qui un poster, qui un autocollant. Je suis aux anges. Mon père m’explique la station spatiale MIR que nous visitons, mais surtout il a la patience extrême de retourner, pour la dixième fois, revoir ce superbe hydravion, exposé sur une piscine et qui me fascine tant. Nous nous arrêtons pour la pose de midi à l’ombre des grands hangars pour manger nos sandwichs que maman nous a préparé avec amour. Fier d’être à ses cotés.

Nuit du 15 Août 2017 Atlanta, Etats-Unis, mon téléphone sonne, Marianne, mon épouse, m’annonce que papa est dans le coma et qu’il est à l’Hôpital Foch à Suresnes. Moment d’incompréhension. Moment d’incrédulité. Cela fait un mois que je ne l’ai pas vu car je termine une mission dans le Golfe du Mexique sur les traces du devenir de la matière organique charriée, en mer, par le Mississippi. Etre en mission, longtemps et loin, c’est accepter de tout laisser derrière soi et de prendre le risque que les gens partent sans nous. Depuis plus de 20 ans j’accepte ce risque sans y croire vraiment, « cela ne peut pas m’arriver à moi ! ». Puis le téléphone sonne à nouveau, papa est mort. Le vide s’ouvre. J’ai mal. Je me tords sur mon lit. Les larmes ne viennent pas tout de suite mais je cherche l’air. Puis l’abîme de la perte m’apparaît, le flot de larmes devient intarissable. Mon esprit n’a plus qu’une seule pensée … lui. Alors je me laisse aller et je repars dans les Vosges, en famille, baskets aux pieds sur les chemins au milieu de ces forêts de sapins envoûtants. Odeurs de sapins dans ces jours d’étés heureux. Promesses de tartes aux Myrtilles au refuge à la fin de la randonnée. Photos prisent sur les grumes. Douleurs due à l’effort et découverte du milieu naturel. Sensation de sécurité entouré de mes parents. Puis visites de châteaux, d’églises, de musées … vacances culturelles ici, là, jamais aux mêmes endroits avec ce père qui semblait tout savoir, avec cette mère en accord parfait. Ils m’ont laissé le goût des visites, du plaisir de laisser les décors et les histoires m’imprégner.

Mon esprit tourne, vire, s’arrête sur les repas du soir, dans la cuisine de la maison familiale, où nous devisions, tous les cinq, toujours sur des sujets sérieux pour se finir par un « preums’ au câlin sur papa ! » que nous nous lancions, à la fin du repas, tour à tour, mon frère, ma sœur et moi. Aujourd’hui encore, chez moi, aux Ulis, le soir, à table, nous devisons mon épouse, mes enfants et moi dans une filiation évidente.

Nous devisions et réfléchissions tous ensemble car mon père ne souffrait pas que nous nous laissions aller à la facilité. A la vérité affirmée par le plus grand nombre, il nous poussait à aller plus loin et mon dieu combien, souvent, cela était difficile de le suivre. Mais il ne souhaitait pas que nous nous rallions à sa cause, ce n’était pas un gourou, il souhaitait juste que nous analysions la complexité des choses. Je me souviendrai toujours de ce « Ah non ! Pas toi !!!! » qu’il me lança, alors que je ne devais avoir qu’une dizaine d’années, ce jour où, à la vue des juifs, dans « les dix commandements » de Cecil B De Mille, adorant le veaux d’or après avoir adoré puis détesté dieu, je lançais dans une réflexion d’enfant, « Mais ! Ils sont vraiment prêts à croire n’importe quoi ! ». Depuis ce jour j’ai compris que je n’avais pas le droit de penser le monde comme on me le montrait, mais qu’il me fallait toujours chercher la justesse de la pensée, sans dogme et en toute liberté. Mon dieu comme souvent je n’y arrive pas.

Je repense aussi à toutes les inquiétudes du père face aux difficultés scolaires du fils que j’étais. En vérité il ne savait pas gérer cette inquiétude et en devenait presque pénible. « Tu as finis tes devoirs ? » me demandait-il, « si oui alors retourne dans ta chambre t’en inventer ». Combien de week-end de merde j’ai passé, seul, dans ma chambre afin de l’éviter !!!! Mais comment lui en vouloir aujourd’hui ? Mon père n’était pas un saint, il avait ses failles, ses faiblesses … et sa faiblesse c’était ses enfants qu’il aimait par-dessus tout et pour lesquels il s’inquiétera jusqu’à la fin de sa vie. Mais s’il n’était pas un saint il avait la sagesse de faire confiance à maman quand celle-ci chercha à me faire rentrer à l’école Nouvelle « La Source » à Meudon. Il lui fit confiance quand elle lui dit que je n’aurai pas d’autres choix, dès l’âge de 9 ans, que de prendre, seul, le train de banlieue pour aller à l’école. Cette école et sa méthode Freinet m’a sauvé la vie, ma mère, en m’y envoyant, m’a sauvé la vie, mon père, en faisant confiance à Maman, m’a sauvé la vie, moi dont le seul idéal était les loubards si bien chantés par mon idole de toujours.

Je repense à ce vieux monsieur affaibli par un cœur fragile, une hypertension difficilement régulée, un diabète pesant et une surdité tenace qui se mettait au service des plus pauvres via les Resto du cœur, ou allait porter les bûches dans les camps des roms avec le secours catholique. Je repense, à l'heure d'une Méditerranée devenue cimetière, à cet évangile (Mt 25, 31-46) que mes parents aiment tant et qui appelle l’humanité à soigner, habiller, nourrir, visiter, accueillir les plus humbles, les plus pauvres d’entre nous. Toute leur vie mes parents auront donc été fidèles à la parole de dieu.

Je repense à tous ces repas, les dimanches, au Mesnil ou aux Ulis, que nous partagions … Oh comme ces années furent douces à l’écouter, à le contredire, à être d’accord, à le convaincre et à me laisser convaincre. Comme j’ai été fier de découvrir sur son ordinateur qu’il avait fait un dossier de photos de moi en politique et en militant, lui qui aura été engagé toute sa vie.

Je repense à ce grand-père merveilleux qu’il a été avec ses petits enfants et à qui il consacrait tout son temps quand ils étaient là, près de lui.

Puis je repense à ce dimanche aux Ulis où il m’a semblé que nous soldions tout en regardant, lui et moi, une émission sur Renaud et où il me dit que oui, cet homme était un mec bien et combien il comprenait que je l’ai tant admiré. Comme je suis heureux d’avoir dit à mon père, de son vivant, combien je l’aimais.

Simple, passant toujours en dernier (même s’il savait recevoir), il ne voulait jamais gêner et ainsi, même pour mourir, il n’a pas voulu déranger. L’attaque cérébrale, qui va lui être fatale, le frappe au moment du coucher après le film du soir. Mais pendant que maman appelle le SAMU, papa récupère suffisamment pour pouvoir se rhabiller et descendre afin d’ouvrir la porte aux secours incrédules. Dès lors il pouvait se laisser aller à la mort, il n’avait pas fait peser cela sur les épaules de ma mère.

Mon père, cette poussière d’étoiles, était un homme bon, il fut un très bon père et un grand père merveilleux, il fut un homme engagé qui essayait de rendre le monde plus juste, il est un exemple difficile à suivre mais je suis fier d’avoir été son fils.

Adieu papa.