"Le motif de base de la résistance était l'indignation. Nous vétérans des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre, l'héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l'ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l'actuelle dictature des marchés financiers qui menacent la paix et la démocratie.

Je vous souhaite à tous, à chacun d'entre vous d'avoir votre motif d'indignation. C'est précieux."

Stéphane Hessel

jeudi 31 juillet 2014

Une société sans croissance ...


L’entrée des démocraties occidentales dans une ère sans croissance paraît de plus en plus crédible. [...]

Nicolas Sarkozy se faisait fort d’aller la «chercher avec les dents», tandis que François Hollande la guette désespérément. En son nom, Pierre Gattaz prétend «tout renégocier»: aucun sacrifice ne serait de trop pour précipiter son retour, du Smic aux seuils sociaux dans les entreprises. Au niveau de l’Union européenne (UE), une stratégie baptisée «Europe 2020» lui a été dédiée, en l’affublant des adjectifs «intelligente, durable et inclusive».

L’expansion en volume du produit intérieur brut (PIB), soit la fameuse «croissance», a fini par bénéficier dans nos sociétés d’une adoration quasi religieuse. Et pourtant, nous allons peut-être devoir nous en passer, ce qui constitue un élément majeur à prendre en compte pour tout essai de prospective politique.

La fin de la croissance apparait bien sûr comme un horizon positif pour certains citoyens de sensibilité écologiste. Elle représenterait une chance de limiter suffisamment le réchauffement climatique, pour que celui-ci n’entraîne pas l’effondrement de la civilisation humaine. Ceux qui attendent cette fin sont cependant une minorité. L’invocation permanente dont la croissance fait l’objet, malgré ses coûts humains et environnementaux, équivaut en effet à «une croyance partagée, [plus forte que le savoir], qui rassemble toute la société» (Gilbert Rist, dans le magazine «Le Un» du 9 juillet 2014).

[...] Le postulat du caractère probable de la (quasi) disparition de la croissance, une fois pris au sérieux, oblige en effet à prendre conscience du contraste nécessaire qui se développera entre les coordonnées de la vie politique des années «Trente Glorieuses», qui impriment encore les imaginaires, et celles de la vie politique telle qu’elle évolue déjà.

L’hypothèse de plus en plus sérieuse d’une ère de «grande stagnation»

La thèse d’un essoufflement de la dynamique expansive du capitalisme a longtemps été confinée dans des cercles d’économistes d’inspiration marxiste, qui n’en ont pas moins nuancé et raffiné la prophétie d’un effondrement final du système sous le poids de ses contradictions.

C’est en particulier autour de la Monthly Review, aux Etats-Unis, que plusieurs auteurs ont développé un raisonnement faisant de la financiarisation une réponse fonctionnelle à la tendance à la stagnation des économies occidentales matures. Il faut admettre que ce modèle rend compte de façon assez cohérente de la crise des subprimes et de sa diffusion. Alan Freeman est allé dans le même sens, en montrant que les booms sont les exceptions à expliquer dans l’histoire du capitalisme, bien plus que les phases de dépression, lesquelles apparaissent au contraire comme une sorte de «pente naturelle» du système.

La nouveauté ces dernières années consiste dans la reprise, sinon de ces arguments, en tout cas du pronostic d’une ère longue de stagnation, de la part d’économistes relativement mainstream. Paul Krugman en a ainsi accepté l’hypothèse dans les colonnes du New York Times, tandis que Thomas Piketty, l’auteur du fameux Capital au 21ème siècle, a mis en garde contre l’accentuation à venir du décalage entre d’un côté la hausse continue du patrimoine des plus favorisés, et de l’autre l’évolution plus modeste de la production réelle et des revenus salariaux ordinaires. Interrogé par Télérama, il assure que «les Trente Glorieuses furent une exception; la normalité, c'est 1 % de croissance!».

La probabilité que la crise actuelle débouche sur une stagnation durable du «fétiche PIB» est de fait rendue crédible par de simples constatations empiriques. Au-delà des cycles conjoncturels, il apparaît ainsi que sur le long terme, dans les pays riches mais aussi à l’échelle mondiale, la tendance est au déclin de la croissance et des gains de productivité qui en ont été un moteur crucial.

Pour expliquer cette situation et pourquoi elle va durer, un certain nombre d’arguments ont été avancés par des chercheurs aux sensibilités assez variées, de l’économiste américain Robert Gordon aux auteurs de Penser la décroissance, en passant par le journaliste Richard Heinberg (La fin de la croissance). Ces arguments portent autant sur le développement intensif du capitalisme que sur son développement extensif.

Concernant le premier aspect, il s’agit d’admettre qu’en raison du poids des services, de la trajectoire déjà parcourue par les systèmes techniques, et de l’improbabilité d’un phénomène aussi structurant que l’a été la révolution automobile, les gains de productivité sont appelés à rester bien plus faibles qu’ils ne l’ont été au cœur du 20ème siècle, pendant l’ère fordiste.

Concernant le second aspect, il s’agit de prendre conscience du problème posé par la dépendance que nos sociétés complexes entretiennent avec des flux constants et gigantesques d’énergie. En effet, cette dépendance est de plus en plus délicate à maîtriser, d’autant que de nombreuses ressources se font de plus en plus rares et/ou coûteuses à extraire, y compris certains métaux pourtant indispensables aux stratégies de croissance «verte». C’est ce que traduit l’idée de «pic géologique et énergétique», que certains ont appelé le peak everything (littéralement, le «pic de tout»).

A ces deux ensembles d’arguments économiques et écologiques, un troisième pourrait être ajouté, d’ordre plus politique. Le sociologue Wolfgang Streeck a récemment émis l’hypothèse que le capitalisme n’avait plus d’adversaires assez puissants pour le corriger de ses tendances au chaos et au déclin. Le résultat à en attendre serait la poursuite paroxystique de sa tendance inégalitaire et ploutocratique, laquelle irait de pair avec la financiarisation et la stagnation de l’économie réelle, ces trois dynamiques s’entretenant mutuellement.

Or, s’il est avéré que la croissance ne reviendra pas (ou seulement de manière éphémère), les implications socio-politiques de cet état de fait seront majeures. Comme le relève Dominique Méda, nos sociétés sont «fondées sur la croissance». Cela signifie que dans le cadre économique et institutionnel en vigueur, un certain nombre de maux sociaux (dont le chômage de masse) se révèlent impossibles à guérir sans son concours. De plus, sans «le grain à moudre» fourni par une expansion continue, les conflits distributifs sont amenés à faire de plus en plus de perdants.

[...]

Extrait de : "Une société sans croissance: la politique à l’heure de la «grande stagnation»" de Fabien Escalona - slate.fr - 28.07.2014

En clair, il nous faudra donc nous adapter à notre nouvelle réalité économique ou bien disparaître corps et âmes.

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